Toute l’évaluation scolaire est conçue comme le « process » (1) contrôle qualité, qui valide la production d’objets fabriqués industriellement, en ce sens que le jeune soumis à cette évaluation
Philippe : Toute l’évaluation scolaire est conçue comme le « process » (1) contrôle qualité, qui valide la production d’objets fabriqués industriellement, en ce sens que le jeune soumis à cette évaluation doit satisfaire à des normes et que cette exigence est telle qu’elle conditionne l’élaboration des programmes. Il ne s’agit plus d’aider les jeunes à se développer et à acquérir des connaissances de façon harmonieuse et donc soucieuse des étapes du jeune de ce qu’il construit avec ce que lui apporte l’institution scolaire.
Philippe : Ce que tu dis est vrai. Regardons ce qui se passe pour le cycle 3 (CM1-CM2-6ème) en français. Lors d’une réunion imposée par l’Inspection, l’inspecteur académique chargé de vendre le socle commun de compétences s’est vanté que la dernière mouture –simple variation du socle européen, ajoute socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Les mots sont ajoutés, mais la teneur du socle n’a pas varié. Par exemple, voici un attendu du socle de fin de cycle 3 en écriture :
« – [l’élève] s’exprime à l’écrit pour raconter, décrire, expliquer ou argumenter de façon claire et organisé
– [l’élève] utilise à bon escient les principales règles grammaticales et orthographiques »
Philippe : et bien sûr, le socle ne comporte aucune étape de la progression des savoirs à acquérir pour obtenir le résultat énoncé par le socle
Philippe : aucune.. et il prétend que ce sont les enseignants qui doivent l’élaborer en concertation… pour un socle national, on voit mal la logique de l’institution.
Philippe : mais ce qu’on voit c’est qu’elle ne porte aucun intérêt aux processus d’apprentissage et donc à l’élaboration de ce qui pourrait favoriser leur développement.
Philippe : toujours à cette même réunion, l’inspecteur a énoncé les attenus de fin de cycle selon les programmes. Je le cite :
« -écrire un texte d’une à deux pages adapté au destinataire
-après révision, obtenir un texte organisé et cohérent, à la graphie lisible et respectant les régularités orthographiques étudiées au cours du cycle…
PHILIPPE : les « régularités orthographiques étudiées au cours du cycle » c’est la grammaire hors étude de la phrase complexe, c’est cela ?
Philippe : oui, avec quelques points grammaticaux délestés du primaire comme le futur antérieur ou la passé antérieur, l’accord du participe passé ; mais en gros, c’est tout le métalangage grammatical rabâché depuis des lustres aux élèves avec le succès que l’on sait…
PHILIPPE : tu lisais le document de l’inspecteur…
Philippe : oui, le document module ensuite trois réalisations possibles par les élèves,
PHILIPPE : des étapes d’une progression de l’enseignement de l’écriture ?
Philippe : non, c’est juste une projection de l’observation des productions. Les inspecteurs sont des devins, tu le sais bien…. D’ailleurs celui-ci a expliqué doctement qu’à la fin du cycle 3 on évaluait, et comme c’est une fin de cycle, on validait ou non des compétences. Voilà son propos : « on ne certifie rien en fin de sixième, on dit juste où en est l’élève »
Philippe : propos jésuitique pour justifier l’absence de prise en compte effective, pratique de la difficulté scolaire
Philippe : oui, l’inspecteur a dit à ce moment-là que les redoublements étaient inutiles, comme si la question de la difficulté pouvait se ramener à la seule question du redoublement…. Encore une fois, c’est une conception institutionnelle qui nie le développement cognitif des apprentissages chez les élèves. Mais pour revenir au texte inspectorial, voici les trois types de productions envisagées :
« 1 [l’élève] produit systématiquement au moins cinq phrases mais la cohérence du texte n’est pas toujours garantie et le respect des règles d’accord au sein du GH et dans la relation S/V demeure très aléatoire
2 [l’élève] parvient à organiser une dizaine de phrases cohérentes entre elles et commet un nombre d’erreurs orthographiques limité pour les régularités étudiées
3 [l’élève] structure un texte d’une page en respectant les caractéristiques du genre défini. Démontre une bonne mémoire orthographique des mots, des règles d’accord, des organisateurs de discours »
Philippe : fin de cycle 3 ? L’inspecteur a-t-il déjà travaillé sur des textes d’élèves de sixième ? Ce qui frappe, et c’est un effet du choix des compétences phagocytant les compétences, c’est que ce type de performance pour la production de type 3 pourrait être écrite à quelques variantes près pour des étudiants de l’université
Philippe : et puis c’est l’idée que comme la scolarité n’est pas achevée, l’enseignant a pour mission de faire le constat d’où en sont les élèves, mais il n’a plus pour préoccupation de les amener à une maîtrise qui serait conforme à son développement cognitif, au processus d’apprentissage développé par chacun et chacune. L’inspecteur d’ailleurs l’a dit explicitement : l’avantage du socle de compétences par cycle est invariable durant tout le cycle…
Philippe : on est dans une conception du type passation de tests. Les tests fournissent désormais la matière des programmes. L’anecdote suivante éclairera mon propos. Les jeunes sourds bénéficient de séances individuelles d’orthophonie. Dans le cadre de l’option dite bilingue français/LSF il est apparu essentiel de proposer des séances individuelles de LSF pour faire pendant aux séances d’orthophonie. Une commission a été créée pour ce faire; le travail a été grandement facilité parce qu’il s’est agit de « décalquer » les compétences visées en orthophonie appuyées sur les programmes scolaires, les référentiels. Et de l’avis des professionnels participant à cette commission il était grand temps de mettre sur pied une grille d’évaluation pour … savoir enfin quoi enseigner en LSF aux jeunes sourds. La grille d’évaluation n’est plus un outil parmi d’autres
PHILIPPE : ….et d’ailleurs lesquels ? …
Philippe : … oui. La grille d’évaluation est là pour fournir les contenus des cours sans que la pertinence de cette grille d’évaluation soit examinée. Il s’agit de préparer les jeunes à passer avec succès les tests d’évaluation !!!!!! L’appel à la norme tient désormais lieu de formation et de fait sert de garde-fous à un personnel infantilisé, conditionné et rendu inutilement alarmiste. Quid du développement de l’enfant de la façon dont il construit ses acquisitions ses connaissances ?
Philippe : d’où ton idée de process. C’est ce qui est probablement à la base des évaluations nationales qui commencent dès le CP (début de CP sic !). Les savoirs à acquérir pour écrire disparaissent au profit d’un constat hypocrite…
Philippe : … hypocrite ?
Philippe : hypocrite parce que c’est un refus de prendre en compte en termes d’apprentissage et de cursus d’apprentissage les difficultés des élèves. C’est donc s’interdire institutionnellement de trouver des dispositifs pédagogiques permettant aux élèves en difficultés de surmonter ces dernières. L’institution parle alors de la solution par la différenciation pédagogique… à trente élèves par classe, sur des difficultés, c’est impossible. N’importe quel pédagogue honnête et non soumis aux inspections en fait le constat… Et, ce n’est pas tout ! Lorsque l’élève arrive au collège, le constat des difficultés est de fait un indice de pré-orientation. N’oublie pas que l’éducation à l’orientation est en place dès la cinquième et qu’on en parle de plus en plus dès le cycle 3… Finalement, le socle compétenciel poursuit en lui donnant un air d’individualisation et d’objectivité qu’il n’a pas dans la pratique, la fonction de tri scolaire de l’école
Philippe : et donc de sélection sociale par le tri scolaire…
Philippe : exactement (2).
Notes :
(1) (Industrie) Ensemble des étapes ou des réglages, secrets ou non, qui permettent le bon fonctionnement d’un procédé industriel. Ensemble d‘étapes permettant d‘aboutir à un certain résultat, ici, fabrication de l’élève type
(2) voir sur ce sujet : Geneste Philippe, Le travail de l’école. Contribution à une critique prolétarienne de l’école, La Bussière, Acratie, 2009, 185 p. et Geneste Philippe, Genèse de l’école hiérarchique. Contribution à une critique prolétarienne de l’école, Chambéry, CNFEDS- université Savoie-MontBlanc, 2017, 270 p.