Journal de travail de la séquence 8 de caviardage

Séance 8

 

22 mars 2019

Huitième séance avec le groupe des élèves du dispositif s’ouvrir au sens par l’expression OSE :

Ce journal sera court, aujourd’hui. En effet, les élèves partent en sortie et la séance est réduite à 30 minutes. J’ai donc décidé de me concentrer sur les deux textes à la verticale restant à lire et à discuter, celui de Camille et celui de Mathieu. C’est sur celui de Mathieu que la discussion va être la plus intéressante. Voici le texte tel qu’il est sur la feuille d’écriture de Mathieu (les barres obliques marquent le retour à la ligne, Mathieu, on s’en souvient avait interprété la mise à la verticale du texte comme une remise à la ligne mot après mot) :

« Mon / amie/  regardait / avec / lui / les / moindres / routes / du / petit / village. / Pendant / une / demi / heure / des / appels / contre / la / berge / se/ laissaient / parler / de / moi / à bord ». Grâce à la discussion et parce que j’ai beaucoup interrogé le texte pour que les élèves y concentrent toute leur attention, deux parties ont été saisies :

1ère partie :

« Mon / amie/ regardait / avec / lui / les / moindres / routes / du / petit / village.

2ème partie :

Pendant / une / demi / heure / des / appels / contre / la / berge / se / laissaient / parler / de / moi / à bord ».

Le lien entre les deux parties a posé problème. On en est venu à se demander comment on pouvait transiter de la première partie à la seconde. En effet, il fallait alors introduire de l’implicite :

– si il y a des berges c’est donc qu’il y a un cours d’eau

– les appels contre la berge, cela suppose que les berges sont des coteaux pour qu’il y ait de l’écho et on a discuté aussi du fait que sur une rivière, les paroles résonnaient. Noah a alors proposé à Mathieu d’enlever « se laissaient ». Du coup le texte oralisé prenait du sens puisque parler et parlaient se prononcent à l’identique.

– à bord signifie donc, à bord d’un bateau

– j’ai alors interrogé les élèves sur la provenance des paroles et cela a été long à faire advenir l’idée que les paroles provenaient du bateau.

– Camille a  alors trouvé la transition entre les deux parties : deux personnages dont un est l’amie de celui qui raconte (le « moi » qui représente le narrateur) sont près d’un village qui surplombe la rivière et donc c’est pour cela qu’ils peuvent entendre les « appels contre la berge » c’est-à-dire l’écho de la discussion qui a lieu sur le bateau. Et cette conversation parle du narrateur (Camille dit toujours « celui qui raconte » et quand j’ai demandé qui c’était, elle a dit le « moi », ce qui montre qu’elle a élaboré le sens à partir des explications précédentes). Dans l’observation faite des propos de Mathieu, on verra que celui-ci a intégré avec réticence les propositions de sens (cohérence sémantique) et de manière hésitante celle, capitale, de Noah. A la fin de la séance, il a toutefois voulu noter sur sa feuille la modification de Noah, dans un premier temps considérée de manière dubitative. C’est donc qu’il a progressé vers l’écoute de l’autre pour intégrer son propos. Mine de rien c’est un grand pas pour Mathieu.

Je voudrais faire une autre remarque pédagogique à propos de l’implicite. Dans le cas du caviardage, le texte élaboré par soustraction, c’est le texte qui oblige à chercher l’implicite. On sait que quand l’élève écrit de lui-même un texte, il omet souvent et de manière majoritaire chez les élèves de sixième et encore de cinquième, d’expliciter ce sur quoi il bâtit son écrit. L’implicite dépend de la vie affective ou sociale de l’élève qui ne sortant pas de lui-même, restant centré sur lui-même, n’informe pas le lecteur de ces éléments pourtant nécessaires à la compréhension de son écrit. Grâce au caviardage, l’élève se trouve confronté par le texte lui-même à l’implicite qu’il doit construire pour donner du sens au texte qu’il a élaboré au fur et à mesure du caviardage. J’insiste là-dessus : un leitmotiv de la pédagogie pour un apprentissage créatif du langage que nous proposons avec Philippe Séro-Guillaume est de mettre en garde les enseignants contre l’usage du métalangage. Faites un cours sur l’implicite à des enfants de 9 à 13 ans en employant le vocabulaire technique afférent est contre-productif parce que les élèves ne comprennent pas les mots employés. En revanche, travailler l’implicite est une nécessité, quelle que soit l’âge des élèves, pour comprendre un texte, pour lui trouver un sens, pour organiser les événements relatés etc. Quelle solution trouver alors ? Tout simplement, partir d’une pratique d’écriture où l’implicite va devoir être construit sans que ce soit une question formelle d’analyse. Cette séance huitième du caviardage avec les élèves du dispositif OSE illustre notre propos. Comme le texte est élaboré par l’élève (succession de ratures, de soustractions) mais qu’il ne part pas de la situation de l’élève (c’est au départ une page arrachée d’un livre), ce dernier est en position de décentration par rapport à son texte Il peut donc mieux ou moins difficilement objectiver les éléments nécessaires à la construction du sens du texte qu’il va par ailleurs transmettre aux autres membres du groupe. Il y a là une vertu certaine du caviardage qui nous permet de dire que la pratique de l’écriture gagne à précéder l’enseignement de l’analyse pour justement permettre, plus tard, d’introduire celle-ci en connaissance de cause. Je dis en connaissance de cause parce que les élèves auront préalablement utilisé, élaboré des éléments d’analyse pour produire leur texte et qu’ils rencontreront les mots de l’analyse alors qu’ils pourront les rattacher à une expérience vécue des textes. L’expérience sensible de l’écriture (élaborer un texte par caviardage) permettra de mettre une réalité sur les mots de l’analyse : l’élève est concerné, il peut s’appuyer sur sa pratique, la convoquer pour appréhender la notion nouvelle.

Observation du travail des élèves :

Estebane

Vendredi 22 mars 2019 : a été peu actif durant cette séance.

Noah

Vendredi 22 mars 2019 : Si, ayant la parole sur le texte de Mathieu, Noah a commencé par n’avoir rien à dire (« je n’ai rien à dire ») et à remuer ses lèvres en silence, en détournant le regard de l’enseignant ou de Mathieu quand il lisait son texte (peut-être parce qu’il était à côté de l’enseignant), ensuite il a changé d’attitude. Et il a trouvé la solution à l’incohérence suivante :

Texte de Mathieu : « Pendant une demi-heure des appels contre la berge se laissaient parler de moi à bord ». Noah a proposé à Mathieu qu’il enlève « se laissaient ». Du coup le texte prenait du sens : il ne faut pas oublier que l’on travaille sur le texte dit (parler et parlaient se prononcent à l’identique) et non écrit ; ce n’est que dans la phase ultérieure de la mise en page définitive que les modifications sur les mots pour accord seront autorisés pour conformité orthographique et grammaticale. Pour l’instant on en reste sur l’opération unique de soustraction.

Naoly

Vendredi 22 mars 2019 : Plusieurs de ses interventions ont été pertinentes sur le texte de Camille. En revanche, ce n’est que lorsque la discussion sur le texte de Mathieu a été assez avancée qu’elle est intervenue dessus.

 Tom

Vendredi 22 mars 2019 : Tom a dit le premier qu’il ne comprenait pas le texte de Mathieu. Mais il n’a pas réussi à expliquer pourquoi ni qu’est-ce qui n’allait pas. Il s’est perdu dans son intervention. Tom n’arrive pas à raisonner si cela nécessite un travail d’abstraction importante par rapport au texte en cause, ce qui est le cas avec le texte de Mathieu. Ce texte, en effet, suppose suppose de construire pas mal d’éléments implicites pour pouvoir élaborer une représentation de la scène décrite par le texte.

Paloma

Vendredi 22 mars 2019 : Ses interventions sur le texte de Camille furent pertinentes.

Mathieu

Vendredi 22 mars 2019 : Mathieu n’accepte que difficilement l’idée que son travail est perfectible. Il a fallu les interventions des autres élèves pour qu’il finisse par accepter devoir reprendre son texte afin de lui donner une cohérence sémantique affermie.  Mais ça n’a pas été facile. A l’excellente remarque de Noah, il a d’abord repris son texte sans intégrer toute la remarque, ce qui a donné : « Pendant une demi-heure des appels contre la berge se parler de moi à bord ». Il a fallu la discussion pour qu’il convienne que se parler de moi empêche de donner du sens à son texte. Quand il lit son texte, Mathieu avale ses mots. Il a vraiment du mal à mettre face à lui son texte, à s’y confronter et donc à l’analyser. Il reste encore dans un lien d’adhérence qui l’empêche de reprendre son texte et donc, du point de vue de l’apprentissage, de progresser sur son texte. Sans la béquille pédagogique, Mathieu n’objectiverait pas du tout son texte.

Camille

Vendredi 22 mars 2019 : C’est Camille qui a finalement trouvé la transition entre les deux parties du texte de Mathieu.

Camille hésite sur son texte. Ses hésitations proviennent d’insuffisance dans la cohérence de ce que le texte conte. Sous l’impulsion de la discussion elle décide d’enlever des passages. Camille accepte de rentrer dans son texte par le sens. En reprenant son texte durant la séance en lien avec la discussion, elle montre qu’elle accepte l’idée que son travail est perfectible.

à suivre