Séance 4
8 février 2019
Quatrième séance avec le groupe des élèves du dispositif s’ouvrir au sens par l’expression OSE :
Quand les élèves entrent dans la salle, leurs travaux des trois séances précédentes sont disposés sur ce qui va être leur table de travail de la séance. Ils s’installent. Je demande à Naoly de rappeler ce que nous avons réalisé depuis janvier en suivant l’ordre des travaux. Ensuite, je rappelle moi-même le travail du jour : lire aux autres la mise en page réalisée à la dernière séance en tenant compte des blancs par des silences. Pour l’ordre de passage, c’est Noah qui tire les papiers préparés à cet effet dans une corbeille.
1- Dix minutes vont être consacrées à une préparation de ce travail.
Je me mets avec Paloma qui doit achever sa mise en page puisqu’elle était absente le 1er février et lui indique qu’elle doit enlever du texte, ce qu’elle va faire très aisément.
Mathieu termine sa deuxième mise en page et se met à la préparation de la lecture silencieuse préparatoire.
2- Lecture congruente à la mise en page. Tom commence. Je lui demande de parler plus fort, d’articuler. Il recommence. Les élèves vont alors se succéder. Cette séance fut un moment de calme immense.
Ce qui me frappe, c’est la profonde concentration des élèves à lire leur texte. Ils suivent scrupuleusement le décompte des temps de silence (rappel : ils comptent dans leur tête les carreaux qui séparent les mots). Me frappe aussi l’écoute des six autres élèves. Seul Mathieu manifestera une dissipation d’écoute. Entre la production scrupuleusement imitative du texte mis en page et l’écoute de profond respect de la parole en cours de profération, je trouve que nous atteignons une atmosphère de recueillement. J’emploie ce terme comme je l’emploierais pour rendre compte d’un recueil de poésie : il y a recueil des mots et attente des mots des autres ; les mots viennent. Il y a bien concentration de chacun et chacune sur un événement et cet événement est, ici, la venue ou mieux, l’advenue du mot ou du syntagme ou de la proposition ou de la phrase. Celui qui vocalise (le vocalisateur) est maître absolu du texte, et ça, je crois que c’est important. S’arrêter, faire silence, faire durer le silence, se taire puis proférer, c’est domestiquer la chaîne écrite des mots autant que la chaîne orale des mots ; c’est mettre le langage au diapason du temps personnel, subjectif de celui qui vocalise. Non seulement c’est son texte, mais les autres, les auditeurs l’attendent, sont en attente de son vouloir le dire. Le silence est à chaque fois une durée durant laquelle le vocalisateur est en récollection pour atteindre une imitation parfaite de l’espage créé ; d’où l’effet de recueillement auquel je ne m’attendais pas, que je n’avais même pas imaginé en préparant la séance.
Après chaque lecture, je demande aux auditeurs et auditrices ce qu’ils retiennent comme signification. Les réponses sont, pour chaque lecture, identiques : on suit le sens au début mais après on le perd à cause des silences. Afin que les élèves se sentent à l’aise pour exprimer cette non-saisie du sens, je leur dis que je suis comme eux, que je perds aussi le sens en cours de route.
Je leur demande ensuite si, toutefois, le texte a exprimé quelque chose pour eux. Et là, les élèves entrent alors dans une réflexion sur ce que portent la sémiologie des mots ou syntagmes, le ton et le rythme. Bien sûr, ils ne le disent pas avec ces mots métalinguistiques, mais c’est bien de cela dont ils parlent. Par exemple, à la lecture par Tom de son texte, l’avis est unanime : on sentait de la peur (« j’ai eu peur » dit Estebane), les mots s’imposent (« je trouve que c’était toujours surprenant quand il disait un mot » dit Camille après la diction par Tom de son texte qui l’énonçait de manière prononcée) même si le sens de leur enchaînement, lui se perd (Paloma insiste sur cette dimension) : on pourrait dire que le temps des silences distend le sens ..
Plusieurs remarques me viennent à l’esprit.
- Cette séance met les élèves en représentation, ils jouent le jeu de l’espage vocalisé.
- D’abord, le travail de diction réalisé met en exergue, non pas le sens du texte, mais l’effet de cohérence de son rythme, des tonalités, des irruptions de sonorités. Cela revient à dire que le texte se communique à l’auditoire dans le langage et non pas par le langage. Pour bien me faire comprendre : dans le langage signifie que c’est la sémiologie (sons, rythme, ton, hauteur de voix, vitesse et intonation) qui porte (ou provoque) la représentation d’une atmosphère du texte chez l’auditeur. N’est-ce pas la dimension sensible du langage qui émerge ici comme composante essentielle d’appropriation des discours ? Les vocalisateurs qui se succèdent orientent leur voix pour pouvoir dire le texte (suspension de voix –nombreuse-, courbe intonative en chute, exclamation –rares-) C’est comme si on attendait le mot, comme si le vocalisateur attendait le mot à venir, comme si celui-ci venait à lui, l’atteindre, et en tout cas c’est une impression réelle pour l’auditeur.
- Une autre remarque a trait à l’espage. Ce travail de lecture implique un respect grand de l’espace de la page donc c’est une appropriation majeure de l’espace de la page par le jeu des silences donc des temps ou durées silencieuses
- Par ailleurs, les élèves auditeurs ont souligné à plusieurs reprises que ce qu’ils retenaient du texte c’était des mots. Effectivement, à cause des temps séparateurs, seuls les mots et parfois des syntagmes donnent la matière de la signification retenue. Donc, dans le silence, les mots seuls irradient. Sinon, la signification c’est, comme je l’ai déjà noté, l’atmosphère qui se dégage de la diction.
- Pour dire son texte, l’élève est dans une recherche de ton. Or, le ton dépend du sens qu’on donne. Donc, il l’élève passe par la sensation du ton pour sensifier (donner sens à) son texte. L’espage décide donc du sens. L’exemple de l’espage de Tom est révélateur. Des textes de l’ensemble des élèves, le sien est celui qui manque encore de cohérence suffisante. Pourtant, c’est le texte lu qui a fait le plus réagir l’auditoire en termes de sens trouvés (la peur, les jeux des surprises, on attendait…). Il serait donc essentiel, pour travailler sur l’appropriation du langage avec des élèves en difficulté en la matière, il semble donc qu’il serait essentiel de partir de l’organisation spatiale du texte. J’avais déjà fait cette remarque quand j’assurais le tutorat d’un élève quasi non scripteur, le jeune Greg.
- Communiquer dans le langage et non par le langage, c’est peut-être ça, aussi : le mot est sensible, il se fait mot-chose c’est-à-dire qu’il devient une réalité parmi les autres réalités. Et ce mot-chose va transporter le locuteur, celui qui le prononce, comme son auditoire d’ailleurs, vers un mot-idée. Le mot-chose est une sorte de notion exploratoire qui va mener vers une idée, une signification à proprement parler (signification singulière dans un discours) puis un sens (de langue). Mais finalement, ce n’est là que reproduire le schème de l’acquisition de la langue à partir du discours ou de la construction historique de toute la langue à partir des pratiques discursives des sujets.
Observation du travail des élèves :
Estebane*
Vendredi 8 février 2019 : Ecoute parfaite des textes des autres élèves. Il est très sensible au temps et développe l’idée de la perte de sens à cause des silences. Quand il vocalise son texte, Estebane varie la vitesse, marque avec rigueur les temps longs et courts, et cherche le ton. Il est tellement pris par sa diction qu’il dira ceci : « Moi, je me suis endormi sur mon propre texte ».
Noah
Vendredi 8 février 2019 : Très bonne lecture, en suivant parfaitement les silences. Au tout début, il lit en prenant son petit air détaché (celui que son malaise l’amène à prendre quand il prend la parole devant les autres). Mais dès la deuxième profération de texte sonore il est dans le texte. Il exprime sa difficulté à saisir le sens une fois qu’il a compris que ce n’était pas un manque de sa part, une lacune cognitive, mais un sentiment partagé.
Naoly
Vendredi 8 février 2019 : Comme Estebane, elle est très sensible aux conséquences des silences pour la construction du sens et elle développe l’idée de la perte de sens à cause des temps. Sa diction est parfaite, très appliquée avec un respect scrupuleux des temps.
Tom
Vendredi 8 février 2019 : Il a débuté et à ma demande au tout début de sa diction a recommencé pour parler fort. Il a du coup donné une impulsion à tous les élèves. Diction qui, par la profération des mots (alors comme signalé déjà, le texte ne possède pas de cohérence suffisante) a tenu l’auditoire pendant presque 10 minutes.
Paloma
Vendredi 8 février 2019 : Paloma passera à la prochaine séance. Ecoute attentive et elle participe aux échanges en faisant part de sa surprise.
Mathieu
Vendredi 8 février 2019 : Seul élève à ne pas avoir été captivé par les dictions des autres (sauf celle de Tom). Légers amusements avec sa colle puis son stylo. N’y a-t-il pas une difficulté à se concentrer plus importante que chez d’autres élèves ? Mathieu passera à la prochaine séance
Camille
Vendredi 8 février 2019 : Très bon suivi du tempo imposé par l’espage. Elle exprime une grande sensibilité aux temps de silence et aux intonations. Les mots, c’est du sensible et elle passe par là pour parler de leur sens. Evidemment, cela demande d’autres observations, mais je le note comme une pierre d’attente peut-être.
à suivre