Journal de travail de la séquence 5 de caviardage

Séance 5

5 avril 2019

Dixième séance avec le groupe des élèves du dispositif s’ouvrir au sens par l’expression OSE :

– Les élèves finissent l’intégration des mots des autres (« c’est une boutique de mots » dit Tom, se référant à une expérience réalisée en CM2) commencée la séance neuvième.

– Chacun lit son nouveau texte et l’auditoire se prononce sur ce qu’il ressent, fait des remarques sur telle tournure ou telle position de tel mot. Durant cette phase de la discussion, l’élève lecteur prend en note ce qui est dit et qu’il compte utiliser pour l’ultime mise en page.

– Reprise finale écrite des textes. L’enseignant suit personnellement chaque élève et vérifie l’orthographe s’il y a lieu. Il vérifie aussi la cohérence de la ponctuation.

– Il est demandé aux élèves de donner un titre à leur texte.

La séance d’aujourd’hui est en fait un renforcement de la recherche explicitée du sens de son texte par chaque élève. J’interroge les élèves sur l’opération consistant à intégrer les mots des autres à l’intérieur de son texte. Les élèves sollicités comparent avec ce que nous faisons depuis le mois de janvier et disent que c’est la première fois que nous ajoutons quelque chose. Je leur demande s’il n’y a pas une chose toute nouvelle aussi, par rapport aux premières séances de caviardage. Ils mettent un peu de temps mais trouvent que c’est aussi la première fois qu’ils écrivent dans leur texte un mot qui n’est pas venu de la page arrachée.

Ce moment du caviardage est important. Il montre que si les élèves conquièrent leur singularité en travaillant sur le matériau collectif du langage, c’est parce qu’ils intègrent les mots des autres qu’ils trouvent la liberté puisque ces mots les font sortir de l’opération de la soustraction (contrainte fondatrice du caviardage), qu’ils peuvent les mettre où ils veulent dans leur texte et qu’ils peuvent les modifier (regard peut devenir regarder ou le/un/ce etc. regard). C’est probablement un point à étudier plus précisément encore.

Je crois important de faire revenir en mémoire vive le point de départ de la séance de caviardage : rayer des mots et ne pas sortir de la page arrachée du départ. Il est de même important de leur montrer que leurs écrits servent maintenant comme servait l’écrit d’auteur de la page arrachée pour constituer leur texte : être auteur c’est écrire un texte dont on sait défendre le sens, dont on maîtrise pleinement le sens. Et cette maîtrise exige du temps pour que s’effectue le travail.

La nouveauté de la lecture des textes réalisés avec adjonction des mots d’autrui, c’est l’expressivité. Celle-ci a gagné du terrain. Tout est parti de la lecture par Paloma de son texte. Elle l’a lu avec grande expressivité, mêlant des gestes et une expression corporelle ; Tom a suivi, emballé par cette approche. Les autres élèves ont après beaucoup mieux dit leur texte. Il est probable que tout le travail de sens des séances précédentes porte ses fruits. Il est agréable de voir que le sens qui se maîtrise se traduise dans le corps qui s’implique. Je ne sais pas plus l’analyser que cela, mais je pense que c’est un point important. Le travail d’objectivation des agencements des mots qui a pris tant de temps durant les séances précédentes, objectivation toujours liée et rapportée au sens du texte, trouve ici son aboutissement. Faut-il souligner que ce n’est pas un recours à du métalangage qui a permis cette objectivation ? Faut-il souligner que c’est le travail de sensification (opération sensificatrice, opération donnant du sens au texte) qui a patiemment mené à l’objectivation par les élèves des agencements des mots, ponctuation comprise ? Nous retrouvons ici un principe de la pédagogie pour un apprentissage créatif du langage : éviter le métalangage si celui-ci risque de créer, pour les élèves, une distance nuisible à la compréhension des tâches demandées ; privilégier, à l’inverse, une approche pratique des savoirs, ce qui revient d’ailleurs à s’appuyer sur l’intelligence des élèves.

La reprise écrite des textes, c’est-à-dire le moment où les élèves ont mis la dernière main à leur texte amène une remarque. Le suivi personnalisé effectué a porté, à chaque fois sur la ponctuation. Ce n’est pas la première fois, au cours de la séquence complète du caviardage, que je rencontre la ponctuation comme un obstacle possible à la réalisation du sens d’un texte. N’est-ce pas l’indice que la ponctuation devrait être travaillée beaucoup plus tôt et de manière beaucoup plus approfondie et je pense dès le primaire. Les élèves sont ignorants de la valeur du point-virgule, par exemple, or, leur manière décrire, où on suit leur répugnance à clore des phrases (d’où, on le sait, en rédaction, des écrits interminables où on se perd), pourrait trouver avec l’étude pratique du point-virgule un régulateur intéressant. J’ai remarqué, aussi, que la majuscule, qui prend un sens ponctuatif quand elle commence une phrase ou après un point, n’était pas maîtrisée par les élèves : la majuscule c’est d’abord le nom propre. Le lecteur est peut-être étonné de cette observation, mais une simple réflexion l’éclairera. Le travail de caviardage amène les élèves à constituer des blocs de texte ne tenant pas compte des frontières phrastiques du texte initial, celui de la page arrachée. Aussi, les mots, syntagmes, expressions, prélevées et formées le sont souvent sans élément ponctuatif voire avec des signes de ponctuation irrationnels, inappropriés. La lecture aux autres des textes, lecture qui parcourt toute la séquence du caviardage, apporte une approche pratique de la ponctuation par la diction ou, au fur et à mesure que le texte des élèves prend forme de poème, scansion : silence, pause, reprise de souffle, suspension de voix…

La fin de la séance est consacrée à donner un titre à son texte puis on échange sur ces titres. Donner un titre, c’est synthétiser la teneur d’un texte. Nous verrons dans l’observation du travail de chaque élève que ce ne fut pas simple pour tous les élèves. Ce fut un moment d’intense échange. Paloma, par exemple a demandé à ce qu’on en discute en réécoutant les textes et elle a suggéré, ce qui a été suivi par les autres élèves, que chacun puisse proposer un titre à un autre élève pour son texte.

Avant de passer à l’observation des élèves, je voudrais revenir sur l’intégration (opération d’adjonction, addition) des mots des autres. La discussion

Observation du travail des élèves :

Estebane

Vendredi 5 avril 2019 : Estebane a lu son texte augmenté par les mots des autres, mais si faiblement qu’il a fallu lui demander de lire plus fort afin que tout le monde l’entende. Son intégration du texte est bonne. La ponctuation est quasi correcte. En revanche, il n’a pas perçu que son texte gagnerait à être transcrit sous la forme de strophes (rôle de la mise en page que l’on peut assimiler à une ponctuation) afin de permettre la transition entre des unités textuelles différentes (deux narratives à la troisième personne du singulier et une dialogique –monologue intérieur– à la première personne du singulier). Il n’a pas été difficile de faire comprendre l’intérêt de la strophe, appelée « paragraphe » par Estebane. Et il a trouvé avec justesse les endroits où sauter une ligne (il a tracé un trait afin de le signifier et de ne pas l’oublier) pour créer les strophes.

Il a tout de suite trouvé un titre, confirmant son aptitude à conceptualiser. Quand Paloma, qui a également trouvé tout de suite le titre de son texte, a dit : « normal, on est tous les deux portugais ». Estebane a aimé cette complicité énoncée par Paloma. Ensuite, il a confirmé qu’il était aussi d’origine portugaise.

Noah

Vendredi 5 avril 2019 : Noah a pris de l’assurance. Il a rajouté « sur le pied » à la fin de son texte, pourtant éliminé lors de la quatrième mise en page avec caviardage, pour aussitôt se reprendre et dire que « non, je l’enlève, ça va pas avec “ la ruelle” ». Visiblement, Noah a anticipé de mémoire son texte avant de le lire, ce qui marque un travail mental sur l’activité ; par ailleurs, il a su porter un regard critique sur ce qu’il a dit et a rectifié son anticipation par mémoire.

Lors de l’échange sur les titres, Noah a été très actif et a accepté la proposition de Tom qui est devenue le titre de son texte. Noah semble s’ouvrir aux autres ou plutôt s’ouvrir à la coopération, ce qui n’est pas la même chose, puisque Noah joue avec ses copains et copines dans la cours, bavarde parfois en classe, donc il sait s’ouvrir aux autres. En revanche, c’est la coopération sur une tâche scolaire qui pose problème et où Noah a parfois tendance à se murer dans ses empêchements. Sa lecture du texte a été bien audible, même si encore, sa main gauche se portait sur le devant de sa bouche.

Naoly

Vendredi 5 avril 2019 : Le suivi personnalisé a porté sur la place du mot d’un autre introduit, le café. Cela a entraîné une nouvelle discussion sur le sens du texte qui évolue. La glace, ainsi, ce n’est pas de l’eau congelé mais la glace miroir. Le travail sur la mise en page est intéressant et montre que Naoly a toujours une réticence à changer ce qui est fait. Mais elle ne se bute pas et essaie. Son titre a fait l’objet de discussion avant d’être changé. Il n’était pas inapproprié mais trop descriptif. Au cours du dialogue, elle s’est montrée attentive à la cohérence entre le titre et son texte. N’est-ce pas un début de conceptualisation jusqu’ici peu manifestée ? Un progrès ?

Tom

Vendredi 5 avril 2019 : Sa lecture a suivi celle de Paloma et Tom a investi son texte de tout son corps et de toute sa voix, en laissant bien passer le sens. C’est évidemment un immense progrès par rapport à toutes les mises en voix des séances précédentes. Quand il a proposé son titre, ce fut un peu la stupeur dans le groupe : « je trouve que ton titre ne dit pas tout ce qu’il y a dans ton texte » (Camille) « ton titre, il n’a rien à voir avec ton texte » (Paloma). C’est Camille qui a trouvé le titre de son texte qui a tout de suite ravi Tom contrairement à d’autres titres proposés. Fait intéressant, Tom a insisté pour écrire le titre en majuscule pour qu’il colle à ce que le titre dit. Le titre est en effet: En Grandes lettres. Quand il l’écrit en majuscules, donc, sur sa sixième mise en page, il inverse le D, symptôme d’une trace de dyslexie ancienne ?

Paloma

Vendredi 5 avril 2019 : Paloma a mis son texte en scène, en appuyant sur l’intonation, en soulignant les silences, en jouant sur le ton. Elle a vécu son texte en quelque sorte. C’est la première fois qu’elle est ainsi sortie d’elle-même pour offrir à la séance toute la richesse langagière qu’elle portait. Elle proposé de nombreux titres à ses camarades. Comme elle et Estebane ont trouvé tout de suite un titre à leur texte, elle dit : « normal, on est tous les deux portugais ». Estebane a confirmé qu’il était aussi d’origine portugaise, et il a aimé cette complicité énoncée par Paloma.

Mathieu

Vendredi 5 avril 2019 : J’ai dû corriger de nombreuses erreurs orthographiques sur la sixième mise en page de Mathieu. Nous avons eu une discussion constructive sur la ponctuation à mettre et sur les majuscules à ajouter. Le titre qu’il a proposé était sans aucune perspective de synthèse et tout le groupe a trouvé que ce n’était pas un bon titre. Mathieu a choisi parmi les titres proposés par ses camarades pour son texte, celui de Tom.

Camille

Vendredi 5 avril 2019 : Avec Camille, le suivi personnalisé a porté sur la mise en page. Elle a trouvé des titres pour ses autres camarades. C’est Noah qui a trouvé le titre repris par Camille avec une discussion entre les élèves sur le jeu de mot qu’il comportait : « la fourrure à l’œil » quand le texte représente un œil sur une fourrure de l’ours domestiqué par un garçon.

à suivre