La prise en charge des élèves sourds : un poste d’observation privilégié du fonctionnement de notre société

Est-ce que l’enseignement de l’oral prôné par l’éducation nationale peut être une aide pour l’entrée dans le français et dans le français écrit pour les élèves sourds ? 

Philippe Séro-Guillaume & Philippe Geneste

 Premier dialogue

A propos de la prise en compte de « la langue orale » dans les textes officiels

 

PHILIPPE : L’enseignement de l’écriture et de la lecture aux élèves ordinaires repose le fait qu’ils ont eu accès à la langue en famille tout naturellement sans qu’elle leur soit enseignée. On ne répétera jamais assez qu’une langue maternelle ne s’enseigne pas. Les cours de français aux jeunes élèves sont très exactement des cours d’écriture et de lecture d’une langue qu’ils maîtrisent oralement pour l’avoir construite à l’occasion du bain de langage familial. Participent à ce langage familial les histoires et les contes lus aux enfants qui leur donnent accès aux formes écrites de la langue avant même qu’ils sachent lire.

 

PHILIPPE : J’ajouterais le langage social et que participent au langage social, les interactions avec les adultes de diverses structures sociales et les interactions avec les autres enfants dans les différents cadres sociaux. Mais ce qui compte dans ce que tu dis, c’est que l’enfant entendant vit à l’intérieur d’échanges symboliques notamment verbaux. C’est dans cette interaction qu’il construit sa langue, ce qui reste hors de vue mais dont ses discours manifestent l’évolution. N’est-ce pas une réalité à prendre en considération pour l’enfant sourd dans le sens où bien que ne parlant pas, le contexte des interactions interpersonnelles se devrait d’être enrichi, faire l’objet d’échanges avec les parents et de projets renforcés et démultipliés dans les structures d’accueil des enfants sourds. Je sais, tu en parles dans ton livre[1], mais c’est toujours d’actualité.

 

PHILIPPE : Mais ce sur quoi je voudrais qu’on discute ici, c’est de savoir si lorsque l’éducation nationale prend en compte l’oral dans l’enseignement du français, est-ce qu’elle prend en compte la situation du bain du langage qui précède l’accès à l’écrit ou bien est-ce qu’elle fait autre chose et quoi ? C’est important, évidemment, puisqu’avec l’inclusion, les sourds suivent exactement le même cursus scolaire que les entendants sans les aménagements que les enseignants et enseignantes spécialisés dans la surdité pouvaient mettre en place

 

PHILIPPE : autrement dit, est-ce que l’enseignement de l’oral prôné par l’éducation nationale peut être une aide pour l’entrée dans le français et dans le français écrit pour les élèves sourds ? Est-ce que tu peux rappeler la doctrine officielle en la matière ?

 

PHILIPPE : Grosso modo, L’Education Nationale pose que la maîtrise de la langue implique trois grandes étapes non exclusives : oral spontané en situation, oral distancié, écrit. Sur le site Eduscol on lit :

« L’oral est l’un des objectifs essentiels de l’école maternelle. Depuis les premiers essais jusqu’aux verbalisations plus complexes, l’attention de l’enseignant est constante. À travers toutes sortes de situations transversales ou orientées spécifiquement sur l’apprentissage linguistique, par des échanges nombreux et variés, il amène les élèves de l’oral en situation à un oral plus distancié, de l’oral pratique utilisé à la maison à un oral élaboré exigé par l’école et ce, grâce à l’usage de discours différents : raconter, décrire, expliquer… »

 

 PHILIPPE : je te coupe juste un instant. Mais on reconnaît-là le travers permanent de l’Education Nationale : créer des artefacts et ne pas fonder l’enseignement sur la vie. Les dénominations le prouvent. Parler d’« oral en situation », d’« oral pratique » c’est éviter la pratique de l’oral existante. Or c’est de là qu’il faudrait partir.

De plus, on reconnaît dans l’énoncé d’eduscol un duplicata pour l’enseignement de l’oral de ce que l’institution impose depuis sa naissance pour l’enseignement de l’écrit. Parler d’«un oral élaboré exigé par l’école », c’est introduire un oral artificiel, comme est artificiel le français national scolaire. Le participe « exigé » montre bien qu’il s’agit d’une démarche impositive et injonctive. C’est-à-dire qu’au lieu de travailler sur le réel (« l’oral pratique utilisé à la maison » auquel il faudrait ajouter la pratique de l’oral entre enfants, ce que l’Education nationale n’envisage même pas, comme si les interactions verbales entre enfants n’avaient pas un poids majeur dans le développement du langage enfantin !) donc au lieu de travailler sur le réel, il s’agit de créer un oral artificiel comme modèle (« un oral élaboré exigé par l’école »).

 

PHILIPPE : c’est bien cela puisque dès la maternelle « un oral plus distancié » vise une activité métalinguistique, au mépris du stade de développement des élèves. Ce que tu disais est corroboré par la suite. En effet, l’oral n’est envisagé par l’Éducation Nationale que dans son lien à l’écrit :

« L’enseignant incite les enfants, chemin faisant, à se décaler du seul usage expérientiel qu’ils font de la langue et à la traiter comme un objet ; ils peuvent “commencer à réfléchir sur la langue et acquérir une conscience phonologique” en manipulant syllabes et phonèmes. À travers certaines activités comme les comptines sues par cœur et suivies à l’écrit ou bien le dispositif de la dictée à l’adulte, ils commencent à comprendre l’articulation qui se joue entre l’oral et l’écrit et à envisager des relations entre le flux de l’oral et les unités distinctes de l’écrit. »

Ce point mérite qu’on s’y arrête. En effet, nous appartenons à une culture où la forme canonique de la langue est devenue l’écrit, ce à quoi a contribué et contribue, de manière majeure, l’institution scolaire. Ce texte officiel en est une nouvelle illustration.

 

PHILIPPE : Au fond, l’oral n’est pris en compte, non pas pour lui-même mais pour accéder à l’écrit : c’est cela ?

 

PHILIPPE : Oui. Or, l’institution ne s’interroge pas sur ce passage du discours oral au discours écrit, ou pour le dire avec les termes de la nomenclature scolaire, de la « langue orale » à la « langue écrite ».

 

PHILIPPE : L’Éducation Nationale fait une sorte de concession à la « langue orale », dans l’unique mesure où elle favorise l’accès à l’écrit.

 

PHILIPPE : ce qui revient à ne rien changer à la conception de l’enseignement puisque le but de l’institution c’est la « langue écrite ». Or, est-il possible de passer de l’oral à l’écrit, comme le suggèrent les textes officiels ? Une expérience menée par Vanoye, Mouchon et Sarrazac est particulièrement éclairante à ce sujet. Les auteurs comparent deux transcriptions d’un même entretien. Il s’agit, expliquent-ils

« (…) d’un extrait de l’émission QUESTIONNAIRE diffusée le 14 avril 1980 sur TF 1, au cours de laquelle J.J. Servan Schreiber recevait J.L Lagardère, le “hussard de la technologie ». Nous en proposons deux transcriptions, la première proposée par TF 1 (et remise sur demande des auditeurs) la seconde réalisée à partir de l’écoute réitérée de la bande de l’émission. »[2]

Voici ce qu’ils écrivent à propos de cette comparaison :

« Une écoute “fidèle” et une transcription adéquate tendent à conserver les “accidents » de l’oral (hésitations, répétitions, reprises, corrections, “fautes”). L’effet produit à la lecture est d’étrangeté, voire de comique. C’est que sous nos yeux, se déconstruisent le “bonne langue” et des personnage (un journaliste connu et, le “hussard de la technologie”) qui sont censés la posséder. L’écrit “officiel” (voir le Journal Officiel, la presse en général, tend à nier l’oralité des discours prononcés pour reconstruire, en même temps que la norme, les personnages. (…) L’écoute et la transcription sont sans cesse confrontées aux normes de l’écrit. Mais le toilettage des textes oraux, s’il se justifie par des partis-pris de lisibilité a aussi une fonction idéologique. »[3]

Constatant qu’il est impossible de transcrire une conversation entre deux adultes cultivés sans se sentir obligés de toiletter leurs échanges, on imagine sans peine le sort qui va être réservé aux productions orales spontanées des enfants dans le cadre scolaire.

Comme tu le remarquais tout à l’heure, ces dernières ne sont considérées que comme une étape transitoire vers l’écrit, et une étape allant de soi. Il n’y a pas d’interrogation, de la part de l’institution sur ladite étape qui ne suscitent guère d’intérêt.

 

PHILIPPE : D’ailleurs cette conception de l’oral comme étape vers l’écrit est totalement infondée. La langue orale ne prépare pas à l’écrit puisque sa syntaxe, son usage des marqueurs du discours, de l’énonciation, de la modalisation, est très différent de celui que l’on observe dans le discours écrit. Si l’Éducation Nationale voulait vraiment travailler sur la langue orale, elle ne pourrait pas travailler directement sur l’écrit comme ses préconisations de l’enseignement du français le suggèrent. Il faudrait travailler sur la thématisation, sur la topicalisation, sur l’implicite, sur l’ellipse, sur les parataxes qui caractérisent tout discours oral et la pratique enfantine de l’oral comme la pratique adulte de l’oral. C’est pour ça que transposer l’oral à l’écrit pour mieux apprendre l’écrit ou l’apprendre plus aisément est une aberration intellectuelle, théorique, linguistique et sociale. Ce n’est que dans la mesure où l’enseignement de l’oral par sa pratique mènerait les enfants à une plus grande plasticité dans l’usage de leurs discours, ce n’est que dans la mesure où un tel enseignement, montrerait à l’enfant que l’école s’intéresse à ses mots à lui, à son propre discours, non pas pour le redresser, pour le couler dans une ortho-oralisation (comme la discipline orthographique en est la caricature pour l’écrit), ce n’est que dans cette mesure que l’enfant en train de devenir élève, que l’enfant devenu élève saisirait ce qui se fait à l’école comme le concernant directement. Par l’acceptation de la pratique réelle du langage oral enfantin, la vie entrerait à l’école. Or, les textes officiels n’intègrent l’oral que pour, tout de suite, lui substituer une abstraction !

 

PHILIPPE : La présentation de l’Education Nationale témoigne d’une conception réductrice de l’accès à la maitrise de la langue en ce sens qu’elle accorde d’entrée de jeu une place exorbitante à l’analyse du code, à l’analyse grammaticale. Car c’est bien cette visée qui se lit dans l’intégration de la « langue orale » dans les textes officiels : maîtriser l’écrit, donc la norme écrite, donc tout faire pour mener les élèves à la norme linguistique, donc inventer, pour ce faire, un oral artificiel y menant.

L’accès au langage prend sa source dans le dialogue avec un parent, un proche un familier qui permet à l’enfant d’échanger (s’exprimer et comprendre) dans le cadre d’une interaction (référence in praesentia et connu partagé) C’est donc du discours qu’un enseignement du français doit partir et du discours oral véritable pour renforcer l’activité langagière enfantine et sa maîtrise du vocabulaire, des formes syntaxiques, mais sans faire de grammaire bien sûr !

La pratique du français oral, pas de ‘oral trafiqué en normalisation grammaticale anticipant l’écrit, cette pratique permet de présenter et d’identifier des éléments situationnels et des protagonistes, de mettre en œuvre une interaction, de la réguler, de la moduler, de la commenter, de rechercher les dénominations appropriées, de différencier le sens des mots et les référents. Bref, d’entrer dans l’univers langagier dans toute sa dimension dialogique, sociale. Les éléments linguistiques ne sont dans cette phase initiale qu’une partie d’un tout associant prise en charge corporelle et mots de la langue et/ou éléments vocaux.

 

PHILIPPE : Peux-tu préciser, en donnant un exemple ?

 

PHILIPPE : l’enfant qui pointe du doigt le ballon qu’il convoite en criant « ta » pour signifier à sa mère par exemple « Passe-moi (mise en œuvre de l’interaction) vite (modulation) ce ballon ! » C’est le connu partagé qui va permettre à l’enfant d’identifier au travers des paroles qui lui sont adressées quotidiennement (par exemple, pour l’exemple donné : « Ah tu veux le ballon … ») les schèmes constructifs, lexicaux et syntaxiques, morphologiques aussi, grâce auxquels il va construire la langue.

Dès cette étape l’enfant va s’approprier quelque chose de central dans le mécanisme de la langue à savoir les mécanismes qui sous-tendent l’actualisation du mot dans la phrase ; mécanismes dont les grammaires traditionnelles ne parlent pas. Témoignent de cette appropriation les créations de mots des petits et tout petits. Par exemple chez un enfant autour de quatre ans : –déprocher construit en opposition à approcher et par analogie avec défaire ; – ils sontaient par analogie avec mangeaient ; – gringoler par opposition à dégringoler ; – serviteuse construit en rapport avec serviteur. L’enfant construit un système où les éléments sont corrélés en termes d’opposition et actualisés de manière univoque ; approcher/déprocher, serviteur/serviteuse, gringoler/dégringoler (faire/défaire). En bref il fait sien le rapport qui unit forme et sens.

C’est parce qu’il a construit ce système à travers ses échanges dans le cadre familial qu’il pourra être accessible à l’enseignement qui consiste en dernière instance à nommer des opérations acquises très spontanément.

 

PHILIPPE : les observations dont tu fais états sont à mille lieues de la démarche de l’Éducation nationale. En effet on lit page 43 du site eduscol :

« Au cours du cycle 2, les élèves sont conduits à centrer leur attention sur la forme de l’énoncé lui-même, à relativiser certains aspects sémantiques pour privilégier un regard sur la formation des mots (la morphologie) et sur les relations entre les mots (la syntaxe).  La morphologie étudie les types et la forme des mots ; elle est soit dérivationnelle soit flexionnelle. La morphologie dérivationnelle concerne le mode de formation de mots nouveaux à partir de mots existants. Elle permet d’augmenter le capital lexical (le vocabulaire) et permet de mémoriser des régularités orthographiques en procédant par analogie (chat, chaton, chatière, chatoyer). La morphologie flexionnelle a trait aux accords en nombre et en genre des noms, des adjectifs et des verbes ainsi qu’aux marques de temps et modes de conjugaison. C’est dans le domaine de la morphologie flexionnelle que se rencontrent les plus grandes différences entre écrit et oral qu’il faut répertorier pour penser l’enseignement de la lecture et de l’écriture. »

On pourrait penser que la progression proposée par l’Education Nationale pour le CP, CE1 et CE2 ne présente aucune difficulté pour élèves qui ont bénéficié d’échanges riches et variés en famille -à savoir des échanges spontanés en situation mais aussi plus soutenus- et dans le même temps, de la lecture d’histoires et de contes. Dans ce cas de figure il s’agirait bien pour ces derniers d’apprendre une terminologie grammaticale et d’autre part à lire et écrire une langue maternelle construite, acquise en famille. Cela est juste pour ce qui est de la lecture mais comme l’école,

– se précipite sur l’écrit normatif dès le CP

-abreuve les élèves de métalangage, un métalangage inaccessible à leur stade de développement cognitif et verbal et pire encore,

-assortit ce métalangage de considérations et d’affirmations réductrices. Par exemple que le singulier signifie le nombre un (les loups ont attaqué une brebis vs le loup est un animal très intelligent),

elle s’imagine apprendre la langue à l’enfant, quand elle ne peut que lui apprendre à user du discours mais, dans ce cas de figure, en lui inculquant des règles qui contredisent la construction de la langue.

 

PHILIPPE : et le hiatus s’accentue, devient gouffre, quand l’oral spontané en situation n’est pas acquis.

Pensons aux enfants issus de familles où on ne parle pas couramment français et aux jeunes sourds. Alors qu’ils n’ont pas accès, les seconds encore moins que les premiers, à cet oral spontané en situation. Ils se voient d’entrée de jeu imposer un oral artificiel, autrement dit des phrases comportant nécessairement -finalité de l’écrit oblige- un sujet, un verbe et un complément, le tout assorti bien évidemment de considérations grammaticales !

Des tournures telles que la souris, le chat il l’a attrapée, double topicalisation propre au discours oral, sont bien évidemment proscrites. Et ce d’autant plus que s’agissant des jeunes sourd la démutisation implique une introduction très précoce de l’écrit. Tout se passe comme si on imposait à des enfants n’ayant pas encore commencé à dessiner spontanément de s’exprimer en appliquant les règles de la perspective.

 

 

PHILIPPE : On touche là une des erreurs fondatrices de l’inefficacité de l’enseignement officiel du français.

Tu remarqueras que, dans toutes ces citations, pourtant assez longues, il est question de conduire l’enfant à de bonnes formes des énoncés, mais que rien n’est dit du contenu des énoncés, c’est-à-dire de leurs sens… Or, parler, ce n’est pas seulement articuler des signes selon des canons syntaxiques normés ; c’est traduire en significations des perceptions, des sentiments, des émotions, des réflexions, des imaginations. On ne parle pas plus pour parler qu’on n’écrit pour écrire. On parle pour dire quelque chose, pour dire ce qu’on sait, pour dire ce qu’on veut ou ce qu’on espère. L’institution scolaire procède avec l’oral comme avec l’écrit, elle veut enseigner l’oral pour lui-même. Mais c’est absurde, il est essentiel d’enseigner l’oral pour servir une situation interactive d’oralité. Et c’est pour cela que les situations pédagogiques mises en place importent. C’est parce qu’on ressent une nécessité à parler qu’on prend la parole, une nécessité pour soi-même ou pour l’interlocuteur, ou encore pour la situation à venir et d’autres personnes. Quand le texte officiel dit – « Au cours du cycle 2, les élèves sont conduits à centrer leur attention sur la forme de l’énoncé lui-même » – il révèle la posture transmissive de l’institution scolaire. Il ne s’agit pas de créer des dispositifs pédagogiques permettant aux élèves à diversifier leurs énoncés par l’expérience réfléchie à partir de leur pratique de discours. Non ils « sont conduits » : le maître sait, et l’élève suit. C’est une démarche contre-productive, on sait cela depuis le développement des méthodes actives soutenues par les psychologues de l’enfance dès le premier quart du vingtième siècle. Mais l’Institution scolaire, elle, ne le sait pas. Quand le maître impose son autorité en matière de langage, il ne permet pas à l’enfant de juger de son propre langage parce que l’enfant va prendre pour argent comptant, se soumettant à l’autorité adulte, ce qu’on lui dit de dire et comment le dire. L’enfant va répéter, mais il ne va rien construire. Pour construire, de nouveaux schèmes discursifs, l’enfant doit produire, pratiquer. C’est donc la qualité des situations langagières mises en place qui comptent par-dessus tout, et non la conformité des paroles des enseignants (fussent-elles justes, elles sont de nulle efficacité).

Plus même, pourquoi la pédiatrie souligne-t-elle qu’il est capital que les petits enfants et les enfants d’âge primaire soient mis en présence les uns des autres ? parce que, comme l’écrit Piaget (observant des enfants de trois à 7 ans) : « Le camarade, en tant qu’individu à la fois différent et égal, pose un nouveau problème : celui de la distinction continuelle du moi et de l’autrui et de la réciprocité de ces deux perspectives » [4]. Je dis « plus même » parce que ce type de relation dialogale est à même de mettre à distance l’égocentrisme social de l’élève, situant à l’arrière-plan le facteur d’autorité et de supériorité »[5] qui au contraire entretien cet égocentrisme. Bref, pour que l’enfant sorte de sa bulle discursive, il faut qu’il s’ouvre aux discours des autres par des échanges verbaux avec les autres. Ces échanges verbaux, soit dit en passant, ne sont pas que verbaux, mais aussi gestuels et ils intègrent de multiples éléments liés à la situation de parole.

 

(A suivre)

[1] Séro-Guillaume, Philippe, Langue des signes, surdité et accès au langage, troisième édition revue et augmentée, Chambéry, CNFEDS – Université Savoir Mont Blanc, 2020, 302 p. + carnet pratique d’analyse componentielle des signes manuels assortie d’une transcription 11 p.

[2] Vanoye, F., Mouchon, J., Sarrazac, J.P., Pratiques de l’oral, Armand Colin, Paris, 1981, p.28

[3] Ibid. p.30

[4] Piaget, Jean, Études sur la logique de l’enfant. I Le langage et la pensée chez l’enfant, préface de Ed. Claparède, 3ème éd. Revue et augmentée (1ère éd. 1923), Neuchatel-Paris, Delachaux-Niestlé, 1948, 214 p. – p.75

[5] Piaget, Jean, Études sur la logique de l’enfant. I Le langage et la pensée chez l’enfant, préface de Ed. Claparède, 3ème éd. Revue et augmentée (1ère éd. 1923), Neuchatel-Paris, Delachaux-Niestlé, 1948, 214 p. – p.75